Permis de construire comportant des inexactitudes sur la surface de plancher ou les destinations : quelles incidences sur sa portée et sa légalité ?
CE, 20 décembre 2023, Ciret, n° 461552, Lebon T.
Commentaire par Olivier Le Bot
Lorsqu’un arrêté délivrant un permis de construire comporte des inexactitudes, quelle est l’incidence de celles-ci sur sa légalité et plus largement sur sa portée ? Le Conseil d’État s’est prononcé sur cette question, qui revêt une grande importance pratique, dans une décision du 20 décembre 2023 mentionnée aux tables du recueil Lebon.
I. Faits de l’espèce
L’affaire concerne en l’occurrence un permis de construire délivré par le maire de Charleville-Mézières à un promoteur par un arrêté du 17 juillet 2017. Le projet porte sur près de 10 000 m² de surface de plancher répartis entre des bureaux, des commerces et une salle de sport sur un site où se trouvaient auparavant les Halles de la ville. Le permis de construire autorise notamment des travaux sur construction existante avec changement de destination.
Or, sur ces deux points, à savoir les destinations de la construction et la surface de plancher créée, un voisin contestant le permis délivré estime que l’arrêté est entaché d’inexactitudes. Il forme un recours pour excès de pouvoir à son encontre en soulevant un moyen tiré de la violation de l’article A. 424-9 du code de l’urbanisme. Cet article prévoit, en son alinéa 1er, que « Lorsque le projet porte sur des constructions, l’arrêté indique leur destination et, s’il y a lieu, la surface de plancher créée ».
Après rejet du recours pour excès de pouvoir par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne puis la cour administrative d’appel de Nancy, un recours en cassation a été formé par le requérant devant le Conseil d’État. Celui-ci s’est prononcé sur le pourvoi le 20 décembre 2023 en formation de chambres réunies.
II. La réponse du Conseil d’État
Sur la question de principe que soulevait cette affaire, le Conseil d’État affirme : « Un permis de construire, sous réserve des prescriptions dont il peut être assorti, n’a pour effet que d’autoriser une construction conforme aux plans déposés et aux caractéristiques indiquées dans le dossier de demande de permis. D’éventuelles erreurs susceptibles d’affecter les mentions, prévues par l’article A. 424-9 du code de l’urbanisme, devant figurer sur l’arrêté délivrant le permis ne sauraient donner aucun droit à construire dans des conditions différentes de celles résultant de la demande. Par suite, la seule circonstance que l’arrêté délivrant un permis de construire comporte des inexactitudes ou des omissions en ce qui concerne la ou les destinations de la construction qu’il autorise, ou la surface de plancher créée, est sans incidence sur la portée et sur la légalité du permis » (pt. 4).
Reprenons la majeure de ce raisonnement et les conclusions qui en sont tirées.
III. Un permis autorise un projet
Le point de départ tient à ce qu’un arrêté de permis autorise le projet présenté ou le rejette mais ne peut l’amender ni lui substituer un autre projet. Il en résulte que si l’administration mentionne par erreur une donnée du projet (qu’elle porte sur sa surface ou les destinations) ne correspondant pas au dossier de permis, c’est à la demande et non à l’arrêté qu’il convient de se référer. En d’autres termes, dans un tel cas de figure, ce sont les données figurant dans la demande qui doivent être prises en compte et non pas celles mentionnées dans l’arrêté.
Cette règle résulte de l’objet même du permis de construire, qui consiste à autoriser un projet déterminé. Elle s’appuie en outre sur deux articles du code de l’urbanisme : d’une part, l’article A. 424-1 du code de l’urbanisme, dont l’alinéa 1er pose que « L’autorité compétente se prononce par arrêté sur la demande de permis (...) » ; d’autre part, l’article A. 424-2, aux termes duquel l’arrêté de permis « b) Vise la demande de permis ou la déclaration et en rappelle les principales caractéristiques : nom et adresse du demandeur, objet de la demande, numéro d’enregistrement, lieu des travaux ».
Le Conseil d’État en déduit, dans l’arrêt commenté, qu’un permis de construire « n’a pour effet que d’autoriser une construction conforme aux plans déposés et aux caractéristiques indiquées dans le dossier de demande de permis » (pt. 4). Il reprend ce faisant, en l’enrichissant légèrement, une formule employée par la section du contentieux dans un arrêt du 25 juin 2014, dans lequel celle-ci indiquait « qu’un permis de construire n’a pour effet que d’autoriser une construction conforme aux plans déposés » (CE, sect., 25 juin 2004, SCI Maison médicale Edison, n° 228437, Lebon). Le Conseil ajoute que d’éventuelles erreurs au niveau des mentions devant figurer dans l’arrêté de permis « ne sauraient donner aucun droit à construire dans des conditions différentes de celles résultant de la demande » (pt. 4). Ainsi, les mentions inexactes figurant dans l’arrêté de permis ne confèrent pas à son bénéficiaire un droit de mettre en œuvre des travaux autres que ceux qu’il avait demandés, et ne le prive pas davantage de la possibilité de réaliser ces derniers.
Quelle est, dès lors, la portée d’un tel arrêté ?
IV. Portée d’une inexactitude pour les tiers et le bénéficiaire
Le Conseil d’État l’indique clairement en conclusion de son raisonnement : « la seule circonstance que l’arrêté délivrant un permis de construire comporte des inexactitudes ou des omissions en ce qui concerne la ou les destinations de la construction qu’il autorise, ou la surface de plancher créée, est sans incidence sur la portée et sur la légalité du permis » (pt. 4). Pour bien apprécier les implications de cette formule, il convient de distinguer la situation du bénéficiaire du permis et celle des tiers.
Pour le bénéficiaire du permis, la situation est simple : il ne peut se prévaloir des mentions erronées de l’autorisation qui lui a été délivrée. Par exemple, si le permis autorise le passage d’une destination « exploitation agricole » à une destination « habitation » alors que la demande portait sur le passage à une destination « commerce », le bénéficiaire du permis ne peut affecter les locaux qu’à un usage de commerce et non un usage d’habitation. De même, si le permis évoque une surface de plancher de 300 mètres carrés alors que la demande n’en mentionnait que 30, il ne peut construire que 30 mètres carrés de surface et non pas 300. Cela avait déjà été jugé dans l’arrêt précité SCI Maison médicale Edison. Dans cette affaire, affirmait le Conseil d’État, « la circonstance que le calcul de la surface hors œuvre nette opéré par le service instructeur a conduit à mentionner, sur le permis délivré le 14 octobre 1987 et modifié le 19 mai 1989, une surface hors œuvre nette erronée », ne donne au bénéficiaire « aucun droit acquis à construire, indépendamment des plans déposés, une surface hors œuvre nette à due concurrence de celle mentionnée à tort sur le permis de construire ».
Pour les tiers, qui contestent la légalité de l’autorisation délivrée, la situation est tout aussi simple et précisée par le Conseil d’État dans l’arrêt commenté : ils ne peuvent trouver dans la contradiction entre le dossier de permis et l’arrêté de permis un moyen d’illégalité permettant d’obtenir l’annulation de l’autorisation contestée. En effet, une telle contradiction est regardée comme étant « sans incidence sur (…) la légalité du permis » (pt. 4). Cela signifie qu’un moyen reposant sur celle-ci présente un caractère inopérant et, par suite, ne peut être utilement invoqué. En l’espèce, le Conseil d’État se fonde précisément sur cet élément « pour écarter le moyen tiré de l’illégalité du permis de construire attaqué au regard des dispositions de l’article A. 424-9 du code de l’urbanisme » (pt. 4).
Ainsi, les erreurs éventuellement présentes sur l’arrêté de permis se trouvent neutralisées, tant pour le bénéficiaire de l’autorisation que les tiers qui entendent la contester.
Olivier Le Bot, 13 janvier 2024 (© Olivier Le Bot)