Vers un permis de construire réversible ? L’idée d’un permis à destinations multiples
par Olivier Le Bot
Le rêve des promoteurs immobiliers serait-il en passe de devenir réalité ? Pouvoir construire un bâtiment sous une destination déterminée et avoir l’assurance de pouvoir changer de destination des années plus tard si cela devient plus rentable ou plus intéressant.
C’est bien ce que souhaite mettre en place une proposition de loi adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale le 7 mars 2024 dont l’article 4 consacre la possibilité de recourir à un permis de construire à destinations multiples (ou permis réversible) « en assumant clairement la possibilité de créer des immeubles réversibles sans nécessiter une nouvelle autorisation d’urbanisme » (rapp. AN sur la proposition de loi visant à faciliter la transformation des bureaux en logements, n° 2111, p. 29).
I. Une technique s’inspirant du « permis à double état »
La technique est directement inspirée du « permis à double état » mis en place par la loi n° 2018-202 du 26 mars 2018 relative à l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.
L’article 15 de ce texte dispose, en son alinéa 1er, que « Lorsqu'un projet de construction ou d'aménagement comporte un état provisoire correspondant aux seules nécessités de la préparation, de l'organisation ou du déroulement des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et un état définitif propre à ses affectations ou destinations postérieures au déroulement des jeux, le permis de construire ou d'aménager autorise cet état provisoire et cet état définitif ». Le régime juridique du permis à double état a été détaillé par un décret n° 2018-512 du 26 juin 2018, plus exactement ses articles 2 à 7.
Le permis à double état autorise deux états successifs pour la construction autorisée :
-
un état initial et provisoire durant la compétition sportive (édifier des constructions pour loger les athlètes et accueillir les activités) ;
-
un état pérenne et définitif une fois que la compétition a pris fin, par la transformation des constructions en habitations, commerces, bâtiments publics ou autres.
Il est donc prévu, dès le début, ce qu’il adviendra des constructions une fois la compétition terminée, ce qui évite que se pose après coup la question de leur affectation et permet d’anticiper les usages futurs des bâtiments.
Les deux états dont la construction ou l’aménagement fait successivement l’objet sont définis à l’article 2 du décret du 26 juin 2018. L'état « provisoire » est celui dans lequel la construction ou l'aménagement « présente toutes les caractéristiques qui permettent son utilisation pour les besoins de l'organisation, de la préparation ou du déroulement » des JO. L'état « définitif » est celui dans lequel la construction ou l'aménagement « présente toutes les caractéristiques qui assurent un usage conforme à sa destination ou à son affectation postérieure au déroulement des jeux », et ce « dans le cadre d'un projet urbain durable en lien avec les projets des collectivités territoriales ». Le passage de l’état provisoire à l’état définitif doit intervenir dans un délai de trois ans à l’issue des jeux
La technique du permis de construire à double état a été conçue pour les JO de Paris à raison de la réversibilité qu’elle autorise pour les installations, aménagements et constructions réalisés. Elle évite ainsi que des constructions deviennent inutiles après la compétition, comme cela avait pu arriver dans certaines villes organisatrices de l’évènement.
II. Un instrument repris pour les championnats de ski et suscitant l’intérêt des promoteurs
Cet intérêt explique que la technique ait été reprise par le législateur dans le cadre de l’organisation des championnats du monde de ski de 2023 dans les stations de Courchevel et Méribel : la loi ÉLAN du 23 novembre 2018 a en effet rendu applicable à cet évènement les dispositions précitées relatives aux JO de Paris (art. 61, II).
Au regard de ce double précédent, il apparaît tout à fait envisageable que le mécanisme soit de nouveau utilisé à l’avenir pour l’organisation de grandes compétitions sportives nécessitant la création d’infrastructures spécifiques. En 2018, le législateur avait exclu qu’il puisse être mis en œuvre en dehors de ce type d’hypothèses très spécifiques (Sénat, rapport n° 262 sur le projet de loi relatif à l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, p. 77 : « Votre rapporteur s’est interrogé sur l’opportunité d’étendre ce dispositif à l’ensemble des cas où un ouvrage posséderait deux destinations successives en donnant, le cas échéant, un statut expérimental au sens de l’article 37-1 de la Constitution aux dispositions proposées. Il apparaît, toutefois que ce cas est suffisamment rare pour ne pas justifier une mesure de portée générale »).
Néanmoins, la technique du permis de construire à double état a suscité l’attention des professionnels de l’immobilier en raison du double avantage qu’il procure.
D’une part, il constitue une sorte de super certificat d’urbanisme qui sécurise la situation du bénéficiaire de l’autorisation en le prémunissant contre une évolution défavorable de la réglementation. Le bénéficiaire de l’autorisation a en effet l’assurance de pouvoir transformer le bien conformément à l’autorisation qui lui a été délivrée des années auparavant sans se voir opposer les règles adoptées postérieurement.
D’autre part, le permis à double état autorise qu’un bâtiment soit affecté à une destination durant une première période puis à une autre destination à la fin de celle-ci. Sur ce point, les acteurs de l’immobilier aimeraient disposer, et ils l’ont exprimé avant même l’institution du permis à double état, de la possibilité de choisir de passer de l’état 1 à l’état 2 au moyen d’un permis réversible (à la différence de ce qui est prévu dans le cadre du permis à double état, où le passage de l’un à l’autre est obligatoire), par exemple en passant d’une destination « bureaux » devenue non rentable à une destination « logements » qui le serait davantage (v., évoquant les propositions de créer un permis mixte » ou « réversible », M. Bidault, « Immeubles réversibles : il faudra du temps pour passer de la théorie à la pratique », Les Échos, 30 nov. 2016, n° 22329, supplément).
III. Le permis de construire à destinations multiples ou permis réversible
Leur souhait a été entendu des députés qui ont adopté en première lecture, le 7 mars 2024, la proposition de loi visant à faciliter la transformation des bureaux en logements, dont l’article 4 prévoit d’introduire dans le code de l’urbanisme un article L. 431-5 rédigé comme suit :
« Dans une commune ou une partie de commune où une délibération du conseil municipal ou de l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme, prise sur avis conforme du conseil municipal de la commune concernée, le permet, la demande de permis de construire peut porter sur un projet de construction nouvelle comportant plusieurs destinations possibles. Lorsqu’elle est saisie à cet effet par l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme, la commune dispose d’un délai de trois mois pour émettre son avis. À défaut, celui‑ci est réputé favorable.
Dans ce cas :
1° Le projet fait l’objet d’un arrêté de l’autorité compétente autorisant les différentes destinations de la construction nouvelle ;
2° La mise en œuvre de l’autorisation portant sur ces destinations est insusceptible de modification ultérieure liée aux destinations de la construction ;
3° Le permis de construire autorise les changements de destination ultérieurs entre les destinations autorisées sur le fondement des règles d’urbanisme applicables à la date de sa délivrance.
Le propriétaire informe de chaque changement de destination le maire de la commune et, le cas échéant, l’autorité compétente en matière d’autorisation d’urbanisme. L’information est transmise soit lors du dépôt de l’autorisation d’urbanisme nécessaire à la réalisation des travaux pour la transformation, soit, en l’absence d’autorisation d’urbanisme, au moins trois mois avant le changement effectif de destination.
Un décret en Conseil d’État définit les conditions d’application du présent article ».
Le mécanisme est assez simple.
Au moment de sa délivrance, l’arrêté de permis autorise différentes destinations. Libre ensuite au bénéficiaire de mettre en œuvre l’une de celles-ci dans un premier temps puis une autre, également autorisée par l’arrêté, dans un second temps.
Le texte précise que les différentes destinations autorisées le sont au regard des règles applicables au moment de la délivrance de l’arrêté. Il en résulte, et c’est une garantie en or pour le propriétaire, que le changement de destination pourra intervenir sans que celui-ci se voit opposer les règles d’urbanisme adoptées postérieurement (et qui pourraient, le cas échéant, faire obstacle à cette opération).
Au titre des garanties entourant sa mise en œuvre, la proposition de loi prévoit que le permis de construire ne pourrait être délivré par le maire qu’après délibération de l’organe délibérant compétent en matière de PLU.
Enfin, s’agissant de son application dans le temps, le dispositif envisagé ne fixe pas de limite de durée pour opérer le changement d’une destination à une autre. Si cette absence n’était pas corrigée (dans la proposition elle-même ou dans le décret d’application qu’elle prévoit), elle poserait sans nul doute une importante difficulté pour les collectivités publiques. En effet, et cela est bien connu, celles-ci ont besoin de faire évoluer fréquemment leurs documents d’urbanisme. Or, en présence d’un permis réversible, elles ne pourraient pas rendre opposables aux opérations qu’il autorise les nouvelles règles résultant d’une modification de ce document. C’est là, bien sûr, tout l’esprit du dispositif – et l’intérêt qu’il présente pour les promoteurs. Mais il apparaît que l’équilibre entre intérêt général et intérêts particuliers serait rompu si la cristallisation des règles qui en résulte n’était pas limitée dans le temps.
Olivier Le Bot, 12 mars 2024 (© Olivier Le Bot)